En axant mon propos
essentiellement sur la musique populaire d'expression française et
en restant sur quelques bases simples, j'espère vous aider à aborder le
sujet et, qui sait, vous donner envie de l'approfondir..
Mais qu'appelle-t-on musique
traditionnelle ou populaire?
La musique
traditionnelle se caractérise avant tout par sa transmission orale qui a
modelé progressivement chaque thème musical, chaque parole de chanson ; les
partitions, lorsqu'elles existent, ont généralement été établies à
l'occasion de collectages et ne sauraient être définitivement
arrêtées...
La
musique traditionnelle est par nature une musique vivante, évolutive au gré
des transmissions successives.
Les
auteurs sont toujours anonymes et l'origine des morceaux difficile à établir ;
même s'il est parfois possible de retrouver certains parallèles dans les
musiques "codifiées" (du Moyen Age ou de la Renaissance notamment),
il s'avère difficile d'affirmer si les morceaux traditionnels trouvent là leur
origine ou si ces morceaux classiques n'en seraient pas plutôt issus.
Au
vu des thèmes abordés, dans le vaste répertoire chanté notamment, il apparaît
que l'inspiration est pour l'essentiel populaire : simple rengaine
entonnée par un artisan ou un paysan au travail, chant de marin pour se donner
du courage à la manœuvre, tranche vie mise en musique pour partager sa
misère ou ses joies...
En
tout état de cause elle est souvent le reflet de la vie du peuple à qui
elle s'adresse et qui se l'est appropriée.
Comment
s'est diffusé et développé le répertoire traditionnel ?
Il
était un temps pas si lointain où, dans les campagnes, l'on se retrouvait à
la veillée. Je me souviens de ces soirées où l'on se rendait chez les voisins en
empruntant de petits chemins à la lueur d'une petite lampe ; on se retrouvait
au coin du feu ou devant une bonne rôtie de châtaignes ; il était bien rare
qu'après quelques histoires, quelqu'un n'entonnait pas un petit refrain,
parfois on allait chercher un instrument précieusement rangé dans la chambre
à coucher.
Ces
veillées ont largement participé à la diffusion et à l'évolution du
répertoire, chacun reprenant les thèmes en les adaptant selon sa sensibilité
ou en fonction des instruments maîtrisés...
Les
différentes fêtes étaient aussi des moments importants pour la diffusion de
la musique traditionnelle : fêtes champêtres au rythme des saisons mais
surtout noces et autres fêtes familiales où l'on invitait généralement les
musiciens "pour faire la danse"et animer la cérémonie.
Les
compagnons du tour de France, mais aussi les conscrits ou les pèlerins,
ont joué un rôle important : il revenait au pays avec quantité de
refrains en tête, acquis sous d'autres horizons, et ont largement participé à
la diffusion géographique sur l'ensemble du pays. Il en va de même des
migrants qui ont emmené avec eux leurs mélodies favorites
Les
mêmes thèmes se retrouvent ainsi sur plusieurs régions, voire des pays
différents. Mais la tradition culturelle locale a imprégné le répertoire
tant au niveau du texte qu'au niveau instrumental.
Les
différents médias nous permettent aujourd'hui d'écouter ce répertoire
confortablement installé dans notre salon... au risque de figer cette musique
vivante et de la faire entrer dans un musée : préférez plutôt les bals
ou mettez vous à la musique et participez à son évolution....
Qu'est-ce
qui caractérise la
musique populaire d'expression française ?
Notre
musique traditionnelle se caractérise avant tout par sa richesse ; développée
tout au long d'une longue histoire le répertoire présente une grande
diversité tant sur le plan instrumental qu'en ce qui concerne les thèmes
puisant dans un riche passé.
Un vaste répertoire de
chansons à texte
Les thèmes abordés
s'inscrivent naturellement dans la tradition populaire (chants de travail,
chansons à boire et à danser, chansons d'amour ou de noces, comptines, mais
aussi chants anecdotiques ou satiriques) ; ils reprennent parfois les
épopées contées par les troubadours (ballades), mais ils s'appuient aussi
sur l'histoire (complaintes et chansons historiques...).
Ce répertoire peut
être déclamé à capella, mais il est souvent repris en s'appuyant sur un ou
plusieurs instruments; cet usage a amené de nouvelles variantes,
notamment par les parties instrumentales introduites qui ont fait évoluer les rythmes
des refrains.
Les rythmes sont en effet très divers ;
si la structure ternaire prévaut, les découpages rythmiques des danses transparaissent
souvent derrière les textes.
Des
spécificités régionales
Certes, nous parlons
d'expression française... mais n'oublions pas que la musique traditionnelle
s'inscrit dans un lointain passé pendant lequel langue d'oc et langue d'oïl
prévalaient. Les nombreuses chansons à texte dans les
langues régionales témoignent de la vivacité d'un passé pas si lointain.
Si un certain nombre
de chansons ont aujourd'hui été "francisées", la langue utilisée a
laissé son empreinte que nous retrouvons souvent dans des expressions, des
tournures de phrases. Écoutez donc, pour vous en convaincre, quelques chansons québécoises
ou cajuns....
Les nombreuses
régions françaises ou francophones ont aussi des rythmes et des danses qui
leur sont propre, des instruments privilégiés...
De fait, il est très fréquent de
retrouver des versions très différentes d'un même morceau d'une région à
l'autre.
Des instruments
variés
Si nous retrouvons
quelques instruments "classiques" (violon notamment), la musique
traditionnelle d'expression française fait appel à une multitude d'instruments
spécifiques, parfois propre à chaque région.
Ces instruments ont
généralement des origines anciennes (vielles existant dès le Moyen Age,
chalemies de la Renaissance ancêtres des instruments à anche double...), mais
des instruments plus modernes sont aussi utilisés comme l'accordéon diatonique
dont la simplicité et la facilité d'usage a favorisé le développement à
partir du début du XIXème siècle.
Tous ces instruments,
par leurs caractéristiques particulières, participent à la richesse de la
musique : ainsi l'usage des bourdons (cordes ou tuyaux produisant des sons fixes
en accompagnement des mélodies) qui caractérisent de nombreux instruments
traditionnels (cornemuses, vielles à roue, épinettes...), a favorisé le
développement de certaines échelles modales.
Comment a été perçue la musique
traditionnelle en France ?
Pendant
des siècles, la musique traditionnelle française a vécu une vie autonome dans
le milieu populaire, loin des scènes de spectacles et des salons. De tradition
orale, on n'en retrouve peu de traces à l'exception de quelques oeuvres des musiciens
classiques y faisant référence..
La
redécouverte par les romantiques
Nos
écrivains romantiques du XIXème siècle se sont intéressés à la vie simple
de nos campagnes et, naturellement , ont découvert, ou redécouvert, le charme
de la poésie véhiculée par la musique traditionnelle.
Ils
s'exaltent devant le génie des chansons populaires et opposent cette musique à
l'art savant plus au moins sophistiqué.
Chateaubriand
évoque dans ses "Mémoires" un cantique populaire entendu
de la bouche d'un matelot....
Honoré
de Balzac donne, dans plusieurs de ses oeuvres, les paroles de chansons
traditionnelles qu'il place dans la bouche de ses personnages ; dans
"Béatrix", il décrit un bal de noce au son du binious.
Gérard
de Nerval consacre un article aux "Vieilles Balades
Françaises" dans "Sylphide", puis à la suite de sa nouvelle
"Sylvie" des chansons et des légendes recueillies dans le Valois
; s'excusant de ne pouvoir noter la musique des chants il écrit "il
est malheureux de ne pouvoir faire entendre les airs qui sont aussi poétiques
que ces vers sont musicalement rythmés" .
George
Sand a aimé passionnément les musiques et les instruments populaires ;
dans "La mare au diable", elle s'émeut devant un simple chant de
laboureur : "Le charme en est indiscible et quand on s'est habitué
à l'entendre, on ne conçoit pas qu'un autre chant pût s'élever à cette
heure et dans ces lieux sans en déranger l'harmonie". A Nohant,
elle fait partager sa passion à d'éminents musiciens ; son amie, la
cantatrice Pauline Viardot, s'intéressera ainsi aux chants du Berry qu'elle
notera sur des manuscrits.
Les
collectages
Le
mouvement des romantiques en faveur du chant populaire est à l'origine,
à partir du milieu du XIXème siècle, d'un vaste recensement et de
la transcription des nombreux chants populaires.
Par
décret de 1852, Louis-Napoléon Bonaparte initia la publication de
"Poésies populaires de France", 6 volumes déposés à la
Bibliothèque nationale ; ce travail, assuré par des enquêteurs trop souvent incompétents
sur le plan musical, s'avère touffu et contestable.
Heureusement
le travail méthodique et consciencieux de nombreux chercheurs privés, parfois
éminents musiciens (Vincent d'Indy, Maurice Emmanuel, Jean Poueigh, Joseph
Canteloube...), amena la publication, à partir de 1860, de quantité de
recueils de chants populaires qui restent encore aujourd'hui des références et
attestent de la richesse du répertoire traditionnel d'expression française.
Au début
de notre siècle, le travail du musicien Joseph Canteloube (1879 -
1957) mérite une mention particulière, avec plusieurs milliers de textes
recueillis non seulement en Auvergne, proche de son Ardèche natale, mais aussi
sur l'ensemble du territoire national.
Le
temps de l'oubli
Si au
début du XXème siècle la musique populaire reste encore bien vivante dans le
milieu rural, en ville se développent des cabarets où se produisent les
premiers chanteurs de variété ; ces nouveaux airs figés, dans des partitions
dont la diffusion est alors plus facile, tendent à se substituer au répertoire
traditionnel.
Le
déplacement des populations vers les villes, images du "modernisme",
amène à dévaloriser la culture rurale jugée archaïque, voire arriérée :
le monde rural ne défend plus sa tradition musicale...
L'engouement
pour les États-Unis d'Amérique, accentué après la dernière guerre, ouvre la
porte au Jazz, puis au Rock-and-Roll, qui progressivement prendra une
place de plus en plus importante dans les masses populaires.
L'avènement
de la radio, puis de la télévision, accentuera ces phénomènes, uniformisant
une culture stéréotypée et figée.
Le
renouveau de la musique populaire d'expression française :
Dans les années
60, elle n'était plus guère d'actualité et les quelques
" musiciens folk" étaient plus souvent à l'affiche des MJC que des
médias... Sauf quelques uns dont Serge Kerval, pur breton
venu au répertoire avec le Ballet National de Danses Françaises, ils n'ont pas commencé avec la musique
d'expression française ;
la musique traditionnelle américaine, qui a toujours été largement diffusée,
est alors plus à la mode : c'est la grande époque du "Folk-Song"
et de Graeme Alwright qui a popularisé en France les airs américains.
La
télévision occupe désormais les soirées jusque dans le monde rural et
l'on joue de la variété et du rock dans les bals de village : plus de
veillées ni de bals traditionnels... De fait, le répertoire est
non seulement méconnu, il parait quasi inexistant... Pourtant dans les campagnes, la musique
survit encore dans la mémoire de quelques anciens ...
Pour
retrouver les traces de cette culture "en perdition", une
poignée de mordus décide d'aller sur le terrain recueillir le
répertoire ; les contacts avec le monde rural se multiplient, on privilégie
les échanges "naturels" en provoquant des veillées où les jeunes
sortent violons et accordéons : les vieux se souviennent, les airs anciens
remontent à la surface...
Au
début des années 70, ce travail commence à porter ses fruits :
de
nombreux "folk-club" se créent où l'on se
rencontre pour échanger ses expériences, ses découvertes sur le terrain ; la revue "L'escargot"
en recense plus d'une soixantaine en France en 1974, parmi les plus
fréquentés citons
"Le Bourdon" et " La vieille Herbe" à Paris et "La
chanterelle" à Lyon.
Le Club du Bourdon occupe une place particulière : il s'agit d'abord du
plus ancien mais aussi du plus important ( jusqu'à un millier de membres
sur Paris...) mais c'est aussi un vivier d'ethnomusicologues qui ont
assuré un travail fondamental de collectage, puis de promotion de la
musique traditionnelle en France. Lorsqu'ils n'étaient pas sur le terrain,
on y retrouvait des musiciens exceptionnels, tels Yvon Guilcher,
Jean-François Dutertre, Jean-Loup Baly, Phil Fromont, Emmanuelle
Parrenin, John Wright et Catherine Perrier...
des
groupes se constituent, souvent issus des folk clubs ; certains
s'avèrent pérennes (Mélusine, La Bamboche, Le Claque Galoche, Maluzerne,
La Chiffonie, Aristide Padigros...), ce qui leur permet de constituer une
petite discographie, mais le monde du folk n'aime pas ce qui est permanent
ou trop fixé et nombreux sont les musiciens qui se retrouvent dans des
groupes éphémères, le temps de quelques tournées, de faire un disque
(Grand-mère Funibus, Gabriel Valse, Pierre de Grenoble...)
des
bals folk ont lieux, surtout en période estivale ; souvent organisés à
l'initiative des clubs, il sont généralement l'occasion de stages
où l'on apprend l'usage des instruments, les pas des danses...
des
festivals sont organisés : Lambesc en 70, Malataverne en 71, Vesdun en
72, Pons en 73...
des
journaux sont diffusés, traitant de la musique , des festivals et de
l'activité des clubs ; citons notamment L'Escargot Folk et Gigue...